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Jacques Louvain, peut-être

par Dominique Boudou, carnets, extraits, en-cours etc.

12 février 2011 6 12 /02 /février /2011 14:40

Dans la pluie du matin l'aéroport m'est apparu comme un lieu sans raison. L'ordre y régnait pourtant. Chacun, personnel ou voyageur y était à sa place. L'éclairage des boutiques, des cafés, des comptoirs des compagnies, des portes d'embarquement, dans sa conformité, ne laissait présager aucun glissement du réel.

J'ai regardé Théus. Cherché un signe qui m'aurait montré qu'elle partageait mon impression. Mais non. Rien. Elle tenait bien son rôle de voyageuse sans bagage. Le but ne lui échapperait pas puisqu'elle en avait tracé le chemin. Et moi, je suivais. Un peu hébété. A douter de ce que je voyais, de ce que j'entendais. 

Nous nous sommes retrouvés dans l'avion sans que j'aie eu conscience de ce qui s'était passé juste avant. J'ai vu par le hublot des agents s'affairer autour de l'appareil, adresser des signes à leurs collègues et, plus loin, de chaque côté de la piste, des herbes couchées. Une hôtesse est sortie de la cabine de pilotage. Je crois qu'elle m'a souri. Elle n'a pas souri à Théus qui se trouvait pourtant dans son axe mais à moi. Jacques Louvain. Jacques Louvain qui n'avait pas su prendre le train tout seul et prenait l'avion accompagné. 

Un message enregistré a annoncé que le vol allait durer douze heures, que la météo était idéale au-dessus de l'océan puis les réacteurs ont vrombi. Secousses. Tremblements. Dos collé au siège. Jambes moites. Jacques Louvain n'était pas plus rassuré que Dominique Boudou en avion. J'aurais voulu que Théus me prenne la main, me dise quelque chose. Elle me semblait si loin tout à coup que je me suis posé des questions sur sa présence charnelle. Je me suis souvenu d'un vieux roman où les gens étaient des simulacres qui disparaissaient dès qu'on les touchait. Alors c'est moi qui ai posé ma main sur la main de Théus. Elle n'a pas disparu. A l'instant où l'avion a quitté la piste elle m'a embrassé.

Et j'ai senti que la vitesse m'arrachait la peau. Comme on arrache celle d'un lapin après qu'on l'a tué. Jacques Louvain n'avait pas la mémoire de lapins dépouillés mais Dominique Boudou si. Des images anciennes qui revenaient juste maintenant et que j'ai chassées.

Puis le paysage s'est mis à rapetisser au fur et à mesure que l'appareil gagnait les hauteurs du ciel. Une nouvelle peau s'est ajustée à mon corps. Mon dos s'est décollé du siège. Collage, décollage. Décollage, collage. J'ai essayé de réfléchir à ça. De fabriquer du sens à partir de ça. J'en ai parlé à Théus qui m'a conseillé de laisser tomber. Tout serait tellement différent bientôt, m'a-t-elle répondu en me couvrant de ses grands yeux d'oiseau. 

Et les nuages nous ont enveloppés comme dans une couette. Tout serait tellement différent bientôt, ai-je pensé en m'endormant.

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commentaires

C
<br /> <br /> je me souviens, la pression qui éclate le coeur au décollage.<br /> <br /> <br /> Je me souviens la peau des lapins qu'on défait comme un gant d'une main. Le "marchand de peau de lapin" sur son vélo...<br /> <br /> <br /> Je me souviens que la peau me colle et qu'il faudrait bien la retirer. Comme Dominique Boudou a oté sa peau et enfilé celle du fameux Jacques.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> peu à peu la peau se décolle, la mue commence ... et le voilà oiseau au milieu des nuages ... amitié .<br /> <br /> <br />
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