Foule de novembre finissant. Ciel bas sur le cours de l'Intendance. Des trams. Des scooters. Des pousse-pousse au pédalage assisté par la fée électricité. Un violonneux violonne. Son Chopin languide indiffère. Cette foule n'a pas d'oreille. Seulement des yeux braqués sur les vitrines trop chamarrées. Je relève mon col. Je fume une cigarette sans m'en apercevoir. Mes pas s'éloignent sur des pavés moins calibrés, piétinent d'herbeuses jointures. Le ciel suspend sa chute. Une cloche promène dans l'air son grain de bronze. Un porche soudain surgit, porté par des colosses au visage couturé. Je fume une autre cigarette sans m'en apercevoir. Je ne sais pas quel chemin me saisit, quel souffle me traverse. J'aime cette absence qui gomme les gestes de ma fatigue. Je pourrais disparaître lentement, devenir un point perdu sur une ligne coupée. Sans conscience ni mémoire. Mais voilà qu'une troupe d'adolescents passe avec des packs de bière. L'un d'eux rit avec des bruits de nez qui trompettent. Je pense à un âne. Un âne qui brait. J'imagine le collage de la tête de l'âne sur le cou maigre de l'adolescent. Je me demande comment il ferait pour porter à l'oreille son téléphone. Je relève encore mon col. Comme si cette image allait s'en prendre à moi. Je m'éloigne. J'allume une autre cigarette et je la brûle en trois bouffées.