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Jacques Louvain, peut-être

par Dominique Boudou, carnets, extraits, en-cours etc.

30 août 2012 4 30 /08 /août /2012 10:47

La femme commande un café serré et un verre d'eau. Je ne sais toujours pas si elle est jolie mais sa voix me plaît. Elle a des accents chantants qui indiquent un phrasé du sud. Je ferme les yeux. Je me dis qu'en fermant les yeux j'imaginerai plus facilement le corps qui accompagne cette voix. Au risque de me tromper du tout au tout. Les belles voix montées sur des corps épouvantables sont pléthore. J'entends le serveur qui arrive. La femme aura peut-être un mouvement qui me permettra de voir son visage. En fouillant par exemple dans son sac pour y trouver quelques pièces de monnaie. Ou en secouant la tête pour rejeter en arrière ses cheveux. Et je verrais alors ses oreilles. Un petit début d'intimité. Le serveur s'éloigne déjà. Je n'ai rien vu. Peut-être n'ai-je pas rouvert les yeux au bon moment. Je reste longtemps avec cette inquiétude, tout en buvant ma troisième bière.

Quatre heures sonnent au clocher d'une église voisine. La lumière se fait plus lourde sur les gens qui passent. Tu viens de finir de t'habiller. Une casserole d'eau bout, que tu vas verser dans ton bol, et tu ajouteras un nuage de lait en poudre à ton café. Après deux gorgées avalées, le bol sera oublié sur la table basse du salon jusqu'à ton retour. Tu as déjà les clés de la voiture dans la main. Un dernier coup d'oeil à ton attirail et tu es dehors. La lumière blesse tes yeux malades. Le trottoir ondule. Le store de la pizzeria bat comme un drap. Je soupire sans m'en apercevoir. Le chemin qui mène à la joie est plein de trous et de bosses. Les bas-côtés manquent de stabilité, peuvent à tout moment verser dans l'abîme. Je finis mon verre. Je me lève un peu gourd. Et je la vois enfin. Je lui sourit et elle me souris. Rien d'autre. Je rentre chez moi. C'est un bon début.

Je me laisse bercer par le roulis du tram. Les trois bières que j'ai bues martèlent mes tempes et l'écho se propage dans tout mon corps. Y réveille des mémoires enfouies. Toute ma vie inscrite en lui. Mais je préfère chasser les souvenirs. Ils pourraient me plonger dans une torpeur trop poisseuse et je mettrais une heure à m'en remettre. Ce n'est pas que mes souvenirs soient plus tristes que ceux des autres, non. Ni plus tristes ni plus joyeux. La plupart des vies, au fond, se ressemblent. Elles ont les mêmes découpes d'enfance, d'âge mûr et de vieillesse, les mêmes lignes croisées, les mêmes brisures. Bien sûr, chacune a aussi ses particularités. Mais, si on compare, mettons, dix mille existences, on s'aperçoit que ces particularités ne s'éloignent guère du lot commun. Qui que l'on soit, rien jamais ne nous met en marge du grand troupeau.

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commentaires

C
<br /> carreau par carreau, c'est encore mieux<br />
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C
<br /> "en marge du grand troupeau..."...<br /> <br /> <br /> Non rien, je ne vois rien...Petites vies, petits tracas, petites joies et c'est ainsi. J'essaie juste alors de prendre un peu de hauteur à défaut d'être dans la marge. Avancer carreaux par<br /> carreaux.<br />
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D
<br /> Euh ! Je lui souris et elle me sourit...<br />
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M
<br /> Rien, jamais rien ne nous met en marge du grand troupeau !<br /> <br /> <br /> Nous marchons tous sur un trottoir ondulé ... on tente juste de rester en équilibre !<br /> <br /> <br /> amitié .<br />
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